Mes professeurs de lingala
Bon, bien sûr, il y a tout d'abord
Justine et les gardiens de notre parcelle qui m'apprennent quelques mots et
expressions par-ci, par-là, à chaque fois que je les croise ou passe un moment
avec eux. Quoi qu'avec Kali, un nouveau
gardien, on parle plutôt anglais, puisqu'il m'a demandé de l'aider à
perfectionner son anglais, en échange de quelques leçons de lingala. C'est très intéressant de discuter avec lui,
et franchement il se débrouille vachement bien en anglais.
Mais la grande partie de mes cours
de lingala se donne à "la paillotte", comme ils l'appellent,
c'est-à-dire l'espèce de kiosque ou de pavillon qui est au bout de notre rue,
et que vous voyez sur la photo, au fond.
C'est en quelque sorte le QG du quartier, où les gardiens, chauffeurs, jardiniers,
concierges et autres employés des maisons alentours passent le plus clair de
leur temps, assis sur leurs chaises à causer de la pluie et du beau temps. A force de me voir passer, on a fini par
faire connaissance, et Papa André s'est attribué le rôle de professeur attitré de
maman Florence. Il a été enseignant, je
crois, et s'est donné pour tâche de m'apprendre tout ça méthodiquement, en
commençant par quelques bases de conjugaison, puis par les nombres (avec une
terminologie bien compliquée que j'ai retenue, mais que les kinois n'utilisent
pas: au lieu de dire tuku mibale na minei, ils disent tout simplement 24! Alors forcément, ça impressionne quand ils
s'aperçoivent que je sais compter en lingala grâce à Papa André.). Ensuite, il m'a énoncé minutieusement le nom
de chaque partie du corps, de chaque animal, etc., en prenant son rôle très à
cœur. Il prend un malin plaisir à
montrer les connaissances de son élève à ses amis de passage, me regardant
fièrement répondre à la question posée par l'ami en question. D'ailleurs, ses compagnons de paillotte s'y
mettent aussi, et m'apprennent quelques mots et expressions au fil des
discussions. Parmi d'autres, il y a
Riki, étudiant qui habite dans une de ces maisons et qui est "en
blocus" pour ses examens d'octobre à l'université de Kinshasa. On a aussi parfois droit à la visite de
Dieudonné, un policier du coin qui vient se reposer de temps à autres à l'ombre
de la paillotte, et qui me raconte ses blessures et aventures de guerre – du
genre atterrissage en parachute raté – à une vitesse telle que je ne comprends
rien ou presque! L'ennui avec les
congolais c'est que dès que je leur sors quelques mots de lingala, ils croient
que je le parle parfaitement et se mettent à me raconter mille choses en triple
vitesse. Et après on vient reprocher aux
Africains d'être lents!
Mais mon enseignante préférée c'est
quand même Martine. Martine, c'est une
petite vendeuse de beignets du coin de la rue par laquelle je passe chaque fois
que je vais en ville à pied. Dès le
premier contact, le courant est tout de suite passé entre nous deux. Elle vend ses beignets tous les jours avec sa
fille aînée, Rachelle, qui ne va plus à l'école parce que les humanités coûtent
trop cher. Elle ne peut payer à ses cinq
enfants que l'école primaire… Mais
malgré ce genre de soucis, elle est toujours toute souriante, et c'est un
véritable plaisir de passer du temps avec elle. Chaque fois que je passe par là, je discute une petite heure avec elle
et Rachelle, sous le regard amusé et impressionné des passants, voire sous
l'air un peu jaloux des autres vendeurs alentours. Ce qui est très agréable avec Martine, c'est
qu'elle est très respectueuse. Elle ne
m'en veut pas si je ne viens pas la voir tous les jours, elle n'insiste pas
pour venir chez moi, ne me demande pas mon numéro de téléphone (comme certains
dragueurs qui y vont "cash", du genre: "bonjour madame, c'est
quoi ton numéro?" Ou bien:
"bonjour madame, tu es mariée?" Ou carrément: "Mad'moiselle! Je t'aime!" Ca c'était pour
la petite parenthèse sur la drague congolaise, qui s'appelle ici "l'attaque",
d'ailleurs!) Bref, Martine est beaucoup
moins collante et envahissante que la plupart des Congolais, et cela la rend
encore plus attachante.
Et pour le reste, n'importe quel
vendeur, chauffeur ou serveuse de restaurant m'apprendra quelques mots si je le
lui demande. Ils sont tellement contents
de voir que je veux apprendre leur langue…